Les brevets de nos pères

Par Cyrille Poindron,

Un petit coup d'œil dans le rétroviseur nous permet de revenir sur des inventions brevetées au début de l'ère automobile, qui ont été publiées en contrepartie du monopole accordé à l'inventeur, et dont des copies numériques sont encore accessibles.

Le cœur d'une automobile, c'est le moteur, et Gottlieb Daimler déposa en 1887 une demande de brevet sur un bicylindre quatre temps à gaz ou pétrole. Le brevet, dont nous avons pu retrouver les publications suisse et canadienne, est particulièrement intéressant pour plusieurs points.

Tout d'abord, on ne peut qu'admirer la qualité des dessins, qui sont parfaitement clairs et très détaillés, en particulier sur la publication canadienne :

patent application drawing

patent application drawing

On y voit parfaitement :

  • les pistons a et b qui coulissent dans les cylindres A et B,
  • l'embiellage r et le vilebrequin c,
  • la soupape d'admission f (via le carter D du bas moteur), d'échappement h (dans la culasse) et les soupapes intermédiaires j ou g (dans les pistons a et b) …

Que de détails et de clarté, en sachant que ces dessins ont environ 130 ans!

Ensuite, un autre point intéressant est relatif au texte, qui décrit en détail le fonctionnement de ce moteur quatre temps d'une architecture désormais inhabituelle. En effet, pour ce moteur baptisé Type P, l'admission en carburant se fait par le bloc moteur via une vanne ou soupape f, et l'air chargé en carburant "traverse" les pistons via des soupapes à ressort j ou g, pour ensuite être brulé dans la chambre de combustion. L'échappement se fait de manière classique par une soupape dans la culasse.

Les amateurs de mécanique remarqueront en outre que :

  • les deux pistons sont attachés au même point du vilebrequin (ils montent et descendent simultanément), ce qui devait générer de fortes vibrations,
  • les soupapes d'échappement sont commandées depuis le vilebrequin par de longues tiges l et m, ce qui devait rendre les réglages en température délicats (dilatation),
  • il semble être prévu un système de régulation de l'échappement en fonction de la vitesse de rotation : des masselottes O via une articulation C sur le vilebrequin agissent sur une bague flottante o et une tige n (figure 1).

En résumé, les figures et le texte expliquent en détail le fonctionnement de ce moteur, de sorte qu'à l'expiration du monopole (20 ans), il est possible d'utiliser l'invention librement. Il est également possible de l'améliorer, ce qui profite au progrès technique et à l’ensemble de la société.

Gottlieb Daimler a revendiqué un fonctionnement particulier de ce moteur dans lequel les pistons travaillent en "opposition", c’est-à-dire que :

  • pendant la descente, l'un effectue sa phase de combustion-détente, l'autre effectue sa phase d'admission,
  • pendant la montée, l'un effectue la phase de compression préliminaire à la combustion (explosion), et l'autre effectue sa phase d'échappement.

Les deux publications sont accessibles aux liens ci-dessous :

publication suisse et publication canadienne

On peut également faire un petit commentaire sur la famille de ce brevet : il a été déposé en Allemagne initialement, et a ensuite été déposé en France, aux États Unis, au Canada, en Suisse. Ces dépôts ultérieurs ont été effectués en bénéficiant du droit de priorité, instauré en 1883 pour ne pas être antériorisés par le dépôt allemand. Les douze mois de l'année de priorité inscrits dans la Convention de Paris de 1883 avaient justement pour but de laisser le temps de faire les traductions et de donner les instructions de dépôt aux agents de brevet locaux, et surtout de permettre au bateau de transporter tous ces documents, par exemple d'une rive à l'autre de l'océan atlantique! De nos jours, un email suffit…

Pour ensuite parler de la vie de ce moteur, il est considéré que le moteur bicylindre en V "Type P" est le premier moteur industriel qui a permis l'essor de l'automobile. Même si ce moteur est "rustique", il reste simple à fabriquer et a joué un rôle crucial pendant les années 1890, en permettant aux pionniers de démontrer les avantages de l'automobile à essence, par rapport aux hippomobiles, machines à vapeur, ou machines électriques.

En particulier en France, Panhard & Levassor a acheté la licence pour fabriquer ces moteurs, et Peugeot les installait dans ses premières voitures. Grâce à cette licence et aux ventes, Panhard & Levassor a été le premier constructeur automobile mondial.

En conclusion, les brevets déposés par Gottlieb Daimler l'ont aidé à exploiter son invention sur son marché en Allemagne, et il a aussi pu négocier des contrats de licences pour les marchés étrangers.

Cyrille Poindron est un Conseil en Propriété Industrielle – Brevets – Directeur de Département chez Novagraaf Switzerland.

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