Marques et dates : le Tribunal de l’UE exclut la protection du signe “1926” pour Montres Tudor
Un signe constitué d’une date est-il protégeable à titre de marque dans le secteur de l’horlogerie, de la joaillerie et de la bijouterie ? Le Tribunal de l’Union européenne vient de répondre par la négative s’agissant du signe « 1926 » (Arrêt du 10 septembre 2025, Montres Tudor SA c. EUIPO, Affaire T-444/24).
Pour être valable, une marque doit notamment être distinctive.
Sont ainsi refusées à l’enregistrement les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d'indications pouvant servir, dans le commerce, à désigner l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l'époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d'autres caractéristiques de ceux-ci (Article 7, paragraphe 1, sous c), du règlement 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne).
Qu’en est-il d’un nombre à quatre chiffres faisant référence à une année ?
Une année peut avoir diverses significations : date de création d’un produit, d’une société, millésime ou encore date anniversaire.
Si ces significations peuvent apparaître attractives d’un point de vue marketing, elles rendent cependant très difficile, pour ne pas dire impossible, une protection à titre de marque, à tout le moins dans l’univers de l’horlogerie, de la joaillerie et de la bijouterie.
L’affaire « 1926 » en est la parfaite illustration.
Rappel des faits et de la procédure devant l’EUIPO
Le 6 juillet 2023, la société MONTRES TUDOR SA a déposé un enregistrement international désignant l’Union européenne portant sur le signe « 1926 » et désignant des produits en classe 14, à savoir « Horlogerie, à savoir montres, montres-bracelets, parties constitutives de pièces d’horlogerie et accessoires pour pièces d’horlogerie non compris dans d’autres classes, horloges et autres instruments chronométriques, chronomètres, chronographes (horlogerie), bracelets de montres, cadrans (horlogerie), boîtes et écrins pour l’horlogerie et la bijouterie, mouvements de montres et leurs parties ; joaillerie, bijouterie ; pierres précieuses et pierres fines ; métaux précieux et leurs alliages ; épingles (bijouterie) ; boutons de manchette ».
Cependant, par décision du 9 février 2024, l’EUIPO a partiellement rejeté cette demande de marque s’agissant des « Horlogerie, à savoir montres, montres-bracelets, parties constitutives de pièces d’horlogerie et accessoires pour pièces d’horlogerie non compris dans d’autres classes, horloges et autres instruments chronométriques, chronomètres, chronographes (horlogerie), bracelets de montres, cadrans (horlogerie), boîtes et écrins pour l’horlogerie et la bijouterie, mouvements de montres et leurs parties ; joaillerie, bijouterie » pour défaut de caractère distinctif, le signe « 1926 » étant considéré comme descriptif d’une caractéristique des produits en question, en ce qu’il renverrait à l’époque/le début de la production des produits visés.
La société MONTRES TUDOR SA a contesté cette décision. Toutefois, le 25 juin 2024, la Chambre de recours de l’EUIPO a confirmé la décision de rejet partiel.
En substance, cette dernière a estimé, que :
- le signe « 1926 » sera immédiatement interprété comme désignant l’année de conception des produits ou de création de l’entreprise les produisant et, qu’en outre, cette interprétation constituait un message purement laudatif vantant la tradition et la durabilité des produits revêtus de la marque en cause. ;
- l’année 1926 sert à indiquer le prestige de l’entreprise ;
- l’année 1926 est citée comme l’année de naissance de la marque « The TUDOR » sur le site internet de la requérante et identifie l’origine des produits en cause.
Elle en a ainsi conclu que l’enregistrement international « 1926 » ne permettait pas l’identification de l’origine commerciale des produits qu’il désignait et qu’il était donc dépourvu de caractère distinctif.
C’est dans ce contexte que la société MONTRES TUDOR SA a saisi le Tribunal de l’Union européenne.
Recours devant le TUE et arguments de la requérante
A l’appui de son recours, la requérante invoque que « 1926 » n’a pas de signification notable dans le secteur de l’horlogerie et de la joaillerie. Il peut être interprété de différents manières en fonction du contexte. Ce signe serait évocateur et susceptible d’être perçu comme un élément distinctif ou symbolique.
Elle avance, entre autres, que le nombre 1926 serait un nombre spécifique qui ne pourrait pas être étendu à l’époque des années vingt et que les montres qu’elle commercialise n’auraient pas un design art déco.
Elle soutient également que, contrairement au vin ou autres produits agricoles, l’année de production n’est pas un indicateur de qualité ou d’exclusivité pour des montres et des bijoux.
Enfin, elle estime que dans le domaine des produits de luxe, une année à quatre chiffres serait plutôt liée à la notion de patrimoine de la marque, évoquant un sens de la tradition et une signification historique.
Appréciation du Tribunal
Dans son arrêt du 10 septembre 2025, le Tribunal confirme la décision de la chambre de recours de l’EUIPO.
En effet, il considère qu’en utilisant des millésimes réalistes et courants, les entreprises veulent généralement faire référence à l’année de leur fondation ou, dans une optique publicitaire, à la tradition et à la durabilité de leurs produits portant la marque en cause, voire, veulent faire référence à l’année de conception des produits.
En outre, dans les secteurs de l’horlogerie, de la joaillerie et de la bijouterie, la tradition d’une entreprise est un gage d’expérience, de connaissance et de compétence.
Dès lors, le Tribunal estime que le signe en question, qui renvoie à l’année 1926, peut être interprété comme désignant l’année de conception des produits concernés.
En outre, dans la mesure où il s’agit d’une année ancienne, ce signe peut faire référence à la durabilité de ces produits, à leur qualité, ainsi qu’à la tradition et au prestige de l’entreprise les produisant.
Le signe « 1926 » n’est donc pas simplement évocateur, mais peut être perçu par le public pertinent, immédiatement et sans autre réflexion, comme une description des caractéristiques des produits en cause. Ce signe n’est donc pas capable de distinguer les produits provenant de la requérante de ceux d’autres entreprises.
Le Tribunal précise, entre autres, qu’il n’est pas nécessaire d’établir que c’est spécifiquement « 1926 » qui transmet une telle image de qualité, ni d’examiner la question de savoir si cette année a une signification notable dans les secteurs de l’horlogerie, de la joaillerie et de la bijouterie.
Il rappelle également qu’il suffit qu’au moins une des significations potentielles du signe tombe sous le coup du grief de descriptivité pour conclure à l’absence de distinctivité.
Par ailleurs, l’argument de la requérante selon lequel des enregistrements antérieurs portant sur des années ont été acceptés par l’EUIPO est balayé d’un revers de main par le Tribunal au motif que « le requérant ne saut invoquer à son profit une illégalité éventuelle commise en faveur d’autrui afin d’obtenir une situation identique. »
Conclusion
Si une année peut constituer un atout marketing, il peut s’avérer difficile, voire impossible, d’acquérir des droits exclusifs sur un tel signe, du moins dans les secteurs de l’horlogerie, de la joaillerie et de la bijouterie.
Cet arrêt fait, dans une certaine mesure, écho à l’affaire « Fauré Le Page » pour laquelle une question préjudicielle est pendante devant la CJUE concernant, cette fois-ci, le caractère trompeur d’un signe comprenant une année et le fait de savoir si l’usage d’une date fictive au sein d’une marque doit être considéré comme déceptif. Pour en savoir plus, veuillez consulter notre article "Existe-t-il des conditions pour apposer une date sur une marque ?".