Quand l’innovation technologique se met au service de la transition écologique


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À l’heure où les enjeux climatiques et environnementaux occupent une place de plus en plus importante tant dans le monde réel que dans les esprits, il est raisonnable de penser qu’au moins une partie de la solution réside dans l’innovation technologique. Or, ce genre d’innovation « verte » étant parfois à rebours des considérations commerciales et industrielles standards, il est nécessaire de pouvoir les envisager comme des leviers concrets, déployables à grande échelle, qui doivent pouvoir être protégés, valorisés et financés. C’est ici qu’intervient le brevet, non pas comme simple formalité juridique, mais comme un outil stratégique et structurant.
En accordant un monopole temporaire d’exploitation à l’inventeur, le brevet stimule l’investissement en R&D et encourage le transfert technologique. Son rôle est d’autant plus essentiel dans le domaine des technologies vertes, où les coûts d’innovation sont élevés et les risques importants. À condition d’être accompagné de politiques publiques ambitieuses, le brevet peut devenir un moteur décisif de la transition écologique. Sans surprise, c’est au niveau européen que l’on retrouve le plus d’incitations dans le domaine.
Les brevets : leviers d’investissement pour les innovations environnementales
Les technologies dites « vertes » – recyclage des matériaux, énergies renouvelables, captage du carbone, dépollution, stockage d’énergie – reposent souvent sur des processus complexes et des avancées scientifiques qui nécessitent des années de recherche. La protection par brevet permet d’amortir ces investissements en offrant un avantage concurrentiel légal pendant une durée limitée, tout en favorisant la diffusion de la connaissance par la publication des demandes. En ce sens, le brevet constitue un compromis entre incitation privée et utilité publique.
L’Office européen des brevets a d’ailleurs constaté une croissance rapide des dépôts de brevets dans les domaines liés à la lutte contre les déchets plastiques : entre 1990 et 2023, le nombre de familles de brevets concernant des inventions en rapport à la gestion des déchets plastiques a été multiplié par 18, soit une croissance 4 fois plus forte que l’évolution globale du nombre des brevets. Cette dynamique concerne en particulier les technologies de recyclage chimique, qui permettent de traiter une plus large gamme de déchets plastiques que les approches mécaniques traditionnelles (on note également l’importance cruciale des réseaux d’IA, permettant des analyses beaucoup plus fines et réactives des déchets). D'autres domaines, comme la valorisation des biodéchets, la capture de CO₂ ou le traitement de l’eau, connaissent également une intensification des dépôts.
Ces brevets ne servent pas uniquement à protéger l’innovation : ils permettent aussi de la financer. Un brevet bien rédigé constitue un actif valorisable auprès des investisseurs ou dans le cadre de partenariats de recherche. Dans les phases de levée de fonds ou de réponse à des appels à projets, il représente une garantie de sérieux, de structuration et de potentiel économique. Dans certains cas, il peut aussi être concédé sous licence, favorisant la diffusion rapide des technologies tout en générant des revenus.
Sur le plan stratégique, la consultation des bases de données brevets est également un outil puissant de veille concurrentielle et d’orientation de la recherche. Des plateformes comme Espacenet ou PatentScope permettent d’identifier les tendances émergentes, de cartographier les zones technologiques en croissance ou de détecter les opportunités de différenciation. Des outils de classification spécifiques aux technologies vertes (comme le code Y02 de la Classification Coopérative des Brevets) facilitent ce travail en regroupant les brevets à impact environnemental.
Incitations publiques et dispositifs d’accompagnement pour les brevets verts
Le rôle des politiques publiques est déterminant pour faire des brevets un vecteur efficace de transition écologique. En effet, si le système de propriété industrielle stimule l’innovation, il n’en garantit pas l’accessibilité, notamment pour les PME ou les centres de recherche aux moyens limités. C’est pourquoi l’Union européenne, les États membres et de nombreuses agences de soutien à l’innovation ont mis en place des dispositifs de financement, d’accompagnement et de simplification administrative spécifiques aux technologies vertes.
Le programme Horizon Europe, doté de près de 95,5 milliards d’euros, finance massivement les projets de recherche et d’innovation en lien avec la transition écologique. Les porteurs de projets doivent y intégrer une stratégie de propriété intellectuelle dès la phase de conception, notamment pour organiser la protection, la valorisation et la diffusion des résultats. Des guides spécifiques ont été publiés pour aider les bénéficiaires à formaliser ces stratégies, y compris en matière de copropriété ou de gestion des droits dans les consortiums.
Le Fonds pour l’innovation de l’Union européenne, financé par les recettes du marché du carbone (EU ETS), soutient les technologies à faible émission de CO₂ via des subventions directes. Ce fonds finance aussi bien les phases de démonstration industrielle que le passage à l’échelle commerciale. La prise en charge des dépenses liées aux brevets – dépôt, extension, stratégie PI – est éligible dans de nombreux cas.
Sur le plan fiscal, plusieurs pays européens offrent des incitations spécifiques aux revenus issus de brevets. En France, le régime dit de « patent box » permet une imposition réduite à 10 % des revenus tirés de la concession ou de la cession de brevets. Le Crédit d’Impôt Recherche (CIR), quant à lui, permet de déduire jusqu’à 30 % des dépenses de R&D, y compris celles associées à la protection des inventions. Ces dispositifs rendent la stratégie PI plus accessible et plus rentable, même pour des structures modestes.
En matière de procédures, les offices de brevets adaptent également leurs pratiques pour soutenir les technologies durables. Des programmes de traitement accéléré – comme le Green Channel britannique ou les dispositifs Fast Track proposés par certains offices – permettent une délivrance prioritaire des demandes portant sur des technologies vertes. Cela permet de raccourcir considérablement le délai entre le dépôt et la mise sur le marché, réduisant l’incertitude et facilitant le financement.
Enfin, certaines initiatives plaident pour des approches collaboratives de la propriété industrielle dans le domaine environnemental. Des modèles de licences ouvertes ou de brevets partagés sont à l’étude dans plusieurs juridictions, afin de concilier protection des droits et diffusion rapide des innovations ayant un impact positif sur le climat. Ces réflexions posent les bases d’un écosystème PI adapté aux grands défis collectifs du XXIe siècle.
Conclusion
Le brevet, loin d’être un simple outil de défense, s’impose comme un moteur essentiel de l’innovation au service de la transition écologique. Il protège les inventions, leur donne une valeur économique, structure les partenariats et alimente la recherche. Mais sa pleine efficacité repose sur l’existence d’un écosystème favorable : aides publiques, dispositifs fiscaux, procédures adaptées et stratégie d’innovation bien intégrée. Dans ce contexte, le rôle des conseils en propriété industrielle est déterminant. Ils doivent identifier les inventions à fort impact environnemental, bâtir des stratégies de protection cohérentes, optimiser les leviers existants et accompagner les porteurs de projets dans une logique durable.
Les équipes de Novagraaf se tiennent à votre disposition pour envisager la protection et la valorisation de vos inventions, afin que leur vertu n’en devienne pas un fardeau !
Martin Chaumont, Responsable du service Contrats et Inscriptions, Novagraaf, France