Exploitation et protection des productions générées par des intelligences artificielles par leur utilisateurs

Par Adeline Laukas,
Droit d'auteur et Intelligence artificielle | article Novagraaf

L'utilisation des intelligences artificielles génératives (IAG) pour créer rapidement du contenu suscite un intérêt croissant. Ces outils permettent de produire diverses créations, allant de la musique à la littérature, en fonction des instructions de l'utilisateur. Cependant, les questions de propriété intellectuelle soulevées par ces productions générées par IA demeurent complexes. Le droit d'auteur, qui protège les œuvres originales, soulève des interrogations sur la paternité humaine des créations générées par des machines.

A l’heure où la course à la production incite à favoriser l’élaboration rapide de contenus marquants, la tentation est forte de se tourner vers les intelligences artificielles génératives (IAG), capables de créer en un temps record, une création sur mesure selon les instructions de son utilisateur. Par ces outils, les investissements apparaissent bien moindres comparés au processus classique de création venant d’un auteur fait de chair et d’os, pour des résultats pouvant s’avérer tout aussi remarquables.

Le principe est simple : laisser libre cours à ses idées et nourrir la machine par des ‘inputs’, tels que des mots-clés, séquences de mots, phrases, thèmes, figures, styles, images et l’outil IAG combinera l’ensemble de ces données, en un rien de temps, pour les matérialiser en une ou plusieurs productions, les « output », dans des domaines aussi variés que la création graphique, la littérature, la musique ou plus récemment, la vidéo.

Les outils d’intelligences artificielles évoluent par nature plus rapidement que les législations. Certains seront ainsi tentés de profiter de ce retard pour tirer profit de ces nouveaux outils permettant presque sans effort de donner corps à leurs idées.

Malgré le caractère alléchant de cette révolution technologique dans le domaine de la création, quelques questions devraient être considérées par les utilisateurs avant d’envisager d’exploiter ces productions.

Au regard du droit d’auteur, peut-on librement exploiter les productions générées par des IA ?

Les IAG sont capables de donner le jour à des productions qui n’ont parfois rien à envier à celles des créateurs humains. Toutefois, il convient avant tout de rappeler que les droits d’auteur ne naissent pas en fonction du degré de créativité ni de la qualité du travail ou de l’œuvre (selon le principe ancré de l’indifférence du mérite) mais principalement selon trois critères majeurs :

  • l’originalité qui s’entend généralement de « l’empreinte de la personnalité de son auteur » ou encore de la « création intellectuelle propre à l’auteur » selon la Cour de Justice de l’Union Européenne ;
  • la matérialisation de la création (car il est de principe constant que les idées sont de libre parcours et ne sont donc pas protégeables en elles-mêmes).
  • Enfin, un dernier critère reposait sur la paternité humaine, toutefois, ce principe a déjà été remis en cause notamment en France lors de la reconnaissance de l’attribution d’un droit à une personne morale, notamment par le biais des œuvres collectives créées par les auteurs salariés (voir notamment arrêt Van Cleef et Arpels, Cour de Cassation le 19 déc. 2013 et l’article L. 113-5 du CPI qui prévoit que ‘l'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée »).

Ces productions sont-elles des Œuvres de l’esprit pouvant bénéficier d’un droit d’auteur ?

Cette question est essentielle car le droit d’auteur confère notamment à celui qui en est titulaire le droit exclusif d’exploiter son œuvre et de poursuivre tout tiers non autorisé qui en ferait des reproductions ou des représentations (en dehors de exceptions légales).  En France, l’’article L.111-1 du code de la Propriété Intellectuelle précise en effet que « l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ».

S’il existe des droits d’auteur sur les productions générées par IAG, il convient de considérer que seul son titulaire pourrait librement les utiliser, en tirer des fruits, et que son autorisation préalable serait nécessaire à tous tiers qui souhaiteraient en faire l’exploitation. Dès lors, il semble primordial de savoir à qui ces droits d’auteur seraient attribués.

Pour les productions nées par un outil d’IAG, trois auteurs seraient potentiellement en concurrence :

  • L’utilisateur : simple utilisateur ou créateur ?

Ayant fourni toutes les idées et éléments librement choisis par lui pour nourrir et entrainer la machine. Il ne se serait finalement servi de celle- ci que comme d’un simple outil lui ayant permis de matérialiser ses idées en une création : cette position pourrait être mise en parallèle avec la jurisprudence qui a finalement tranché en faveur  de l’attribution des droits d’auteur au profit du photographe, (sous réserve de l’originalité des clichés) en raison du fait que l’auteur opère des choix subjectifs capable d’incarner l’empreinte de sa personnalité (notamment par le choix du sujet, de la lumière, de l’éclairage, des temps de pose, du cadrage, etc). Pour la photographie, il est aujourd’hui acquis que l’appareil photo n’est qu’un outil au service du photographe pour matérialiser sa création. Le critère d’originalité permettant l’octroi du droit d’auteur tient aux choix libres et créatifs du photographe. Avant cette jurisprudence, le droit d’auteur était refusé en raison du procédé mécanique de la photo.

L’argument principal faisant obstacle à ce raisonnement et à l’octroi de droit d’auteur au bénéfice de l’utilisateur des IAG serait que l’outil ne permettrait pas (encore) à l’utilisateur de réaliser des choix ‘libres et créatifs’ pouvant incarner l’empreinte de sa personnalité (au sens de la définition donnée par la CJUE – 1er décembre 2011, aff. C-145/10). En effet, à l’heure actuelle, les productions générées par les IAG relèvent en fait de résultats aléatoires sur lesquels l’utilisateur ne dispose d’aucun moyen de contrôle. Le rôle de l’utilisateur ne se limiterait alors qu’à renseigner des « idées » qui, rappelons-le, sont de libre parcours et ne sont pas protégeables.

Les décisions rendues par les juridictions à travers le monde sur cette question sont encore limitées en nombre et peu harmonisées.

La Chine semble avoir opté en faveur de l’attribution des droits d’auteur à l’utilisateur en se calquant sur le raisonnement appliqué à la photo, en considérant que l’IAG est un simple outil servant à l’utilisateur et que les choix réalisés par ce dernier pour nourrir les « prompts » (ou les inputs) sont suffisant pour lui octroyer un droit d’auteur (Beijing Internet Court, 27 novembre 2023).

Aux Etats-Unis, l’US Copyright a pour sa part refusé une demande d’enregistrement d’un Copyright portant sur une bande dessinée entièrement créée par IAG par l’utilisateur à l’origine de ce rendu, en raison de l’absence de paternité humaine.

Compte tenu de la rapidité du développement de ces outils, il est tout à fait prévisible que les IAG puissent permettre assez rapidement de rendre les productions totalement prévisibles et contrôlées par son utilisateur.

Dans cette hypothèse, l’octroi d’une protection à son bénéfice pourrait plus légitimement lui être reconnu, à l’instar des droits du photographe, de dès lors que L’IAG lui permettrait sans plus de doute, d’opérer et d’exprimer ses choix libres et créatifs portant l’empreinte de sa personnalité au sein même de la production finale.

  • L’IA elle-même : : un outil sans personnalité juridique

La matérialisation de la création est issue de sa seule interprétation, néanmoins, il faut souligner que l’IA n’a pas de personnalité juridique et qu’elle n’a d’ailleurs pas de personnalité tout court ! L’absence de personnalité juridique lui empêche de devenir titulaire des droits.

En outre, l’absence de personnalité au sens stricte de l’IAG entraine une absence évidente de pouvoir caractériser ce qui fait le fondement même du droit d’auteur, à savoir, l’empreinte de la personnalité de son auteur, caractérisant l’originalité.

Dénuées de personnalité, d’esprit et de sensibilité, les IAG ne seraient pas en mesure de produire des créations ou des « œuvres de l’esprit ».  Il pourrait être retenu que les productions des IAG, principalement entrainées à copier, procèdent davantage de calculs et d’algorithmes que de l’expression d’une personnalité propre. Si l’exigence de la paternité humaine semble aujourd’hui assouplie par le possible bénéfice à une personne morale, le précieux sésame du droit d’auteur a été refusé par la justice américaine à un jeune singe nommé Naruto, considérant qu’il s’agissait « d’un travail non-humain ». Rappelons ici que les animaux ne disposent pas encore de la personnalité juridique et ne peuvent donc pas bénéficier de droit d’auteur.

L’outil IAG permet certes la matérialisation de la création, mais pas de remplir le critère fondamental de l’originalité, au sens de « l’empreinte de sa personnalité », qui pourrait lui valoir l’attribution des droits.

  • L’auteur du logiciel de l’IA générative : droits sur le logiciel mais pas sur les productions

En sa faveur, celui-ci dispose déjà des droits d’auteur sur le logiciel, or les productions générées par ces logiciels résultent des logiciels créés par leur auteur, d’où une possible revendication des droits sur les productions générées.  Néanmoins, la participation de l’auteur logiciel dans la production finale générée par l’IA ne se limite qu’à ça. Il ne fait aucun apport additionnel libre et créatif portant l’empreinte de sa personnalité.

Dans ce vide juridique, les auteurs des IA génératives prévoient pourtant fréquemment au sein des CGV et CGU les questions de la titularité des droits (supposant donc qu’ils lui appartiennent puisqu’ils se donnent le pouvoir de décider de leur sort) et de la responsabilité concernant l’exploitation des productions, notamment en cas de reprise de contenu portant préjudice aux droits de tiers. Ainsi, par la voie contractuelle, certains auteurs de logiciels d’IAG se réservent les droits sur les images créées et/ou placent des traceurs pour suivre les exploitations futures desdites productions. Parfois encore, ils prévoient une libre exploitation de productions ou une titularité exclusive des droits au bénéfice de l’utilisateur.

Les solutions et les recommandations pour s’octroyer un monopole exclusif sur les productions d’IAG

Les solutions qui semblent actuellement retenues par la jurisprudence sur ce contentieux récent sont encore embryonnaires. Nous notons par ailleurs des disparités en fonction des territoires concernés (ce qui n’a rien d’étonnant, notamment lorsqu’on connait le manque d’harmonisation en matière même de droit d’auteur) mais pouvons noter que nous nous dirigeons globalement vers une absence de reconnaissance « automatique » d’un droit d’auteur sur les productions générées par IAG. Lorsque qu’il y aurait reconnaissance d’un droit d’auteur, celle-ci se ferait au bénéfice de l’utilisateur.

Cette solution semble assez juste par rapport à la philosophie et à l’économie du droit d’auteur qui vise à valoriser et à récompenser l’effort de la création humaine, sur laquelle seul l’auteur peut spéculer. En outre, accorder sans condition une protection exclusive sur la multitude de contenu pouvant être généré chaque seconde pourrait à terme limiter la protection accordée à la vrai création humaine par un effet de saturation de l’art antérieur et en rendant, par voie de conséquence, le critère d’originalité toujours plus exigeant.

Comme évoqué, aux Etats Unis, l'U.S. Copyright Office a rejeté la demande d'enregistrement d'un Copy right sur la bande dessinée Zarya of the Dawn générée par ordinateur au motif de l'absence de paternité humaine. Cette décision peut être mise en parallèle d’une décision de la Colombia District Court confirmant un même refus à l’utilisateur d’une IAG sur une image de paysage, aux mêmes motifs.

Dans ces affaires, il convient de préciser qu’il s’agissait de productions entièrement générées par l’outil IAG.

Les solutions auraient pu être différentes si les utilisateurs, personnes humaines et seules capables d’opérer des choix sensibles et créatifs avaient participé davantage à la création même des productions finales, par exemple en retravaillant les images ou les textes, leur conférant ainsi un degré suffisant d’originalité et de paternité humaine pour bénéficier du droit d’auteur.

En Chine, le 27 novembre 2023, la Cour de Beijing spécialisée dans les litiges sur internet a accordé un droit d’auteur à l’utilisateur d’une IAG sur l’image générée, en retannant que ses choix dans la constitution des inputs étaient suffisants pour caractériser l’originalité. La Cour retient que l’IAG n’avait été qu’un simple outil dans le processus de création et, comme nous l’avons vu plus haut, compare simplement l’outil IAG à l’appareil photo pour calquer le régime des œuvres photographiques au productions générées par IA. Dans cet arrêt, il convient de souligner que la Cour refuse l’octroi des droits au concepteur du logiciel IAG au motif qu’il n’avait jamais eu d’intention de créer l’image en question.

Dans cette décision, les choix opérés par l’utilisateur sont toutefois détaillés par les juges pour parvenir à cette conclusion (choix du sujet, du fond, du cadrage, de l’éclairage etc.).

Toutefois, l’harmonisation n’est pas certaine. Au Royaume-Uni, il existe une disposition permettant l’octroi d’une protection par droit d’auteur pour les œuvres générées par ordinateur, sans intervention directe d’une personne humaine (Copyright Designs and Patent Act de 1988). Les droits d’auteur sont attribués à la personne qui est à l’origine de cette création par l’ordinateur. Nous pouvons nous interroger sur l’application de cette disposition en matière d’IAG dans le futur. Cela dit, en matière d’inventions scientifiques, l’enregistrement de Brevets sur des inventions créées par une IA a été refusée à son inventeur en raison de l’absence de paternité humaine (Cour suprême du Royaume Uni, 20 décembre 2023).

Il semble donc, d’une manière assez logique, que l’octroi des droits exclusifs sur les productions générées par IAG reste conditionné par l’apport d’un travail humain et/ou de l’originalité de la production qui, comme nous l’avons vu, ne peut résulter, en matière de droits d’auteur, que d’une personne dotée d’une sensibilité et d’une personnalité propre. Il semble se dessiner la possibilité d’un octroi de protection au bénéfice de l’utilisateur dès lors que ses choix auraient permis d’exprimer sa personnalité et de remplir le critère d’originalité dans la production finale.

La question semble donc davantage se tourner vers le curseur selon lequel l’implication personnelle de l’utilisateur humain dépasserait les seules productions de la machine. En Chine, la participation de l’humain dans le seul choix des inputs semble suffire, alors qu’aux Etats-Unis, il faudrait que l’auteur ait apporté sa créativité au moment de la création finale.

En Union Européenne, il est recommandé d’opérer une distinction entre la création simplement ‘générée’ et la création ‘assistée’ qui suppose un apport plus important de la personne humaine par rapport à la production de l’outil IA au sein de la création finale.

Il semble donc, dans une certaine mesure, que les choix libres et arbitraires doivent pouvoir s’exprimer pleinement au sein du résultat final, ce qui suppose soit une possibilité de contrôle (en amont) par l’utilisateur sur la production générée, soit un retravail de ce dernier de la création générée (en aval) pour obtenir une œuvre originale sur laquelle une paternité humaine pourrait être revendiquée.

Cela sera peut-être le cas en amont (lors de la constitution des inputs) si les IA évoluent vers une possibilité de contrôler parfaitement les productions finales. En attendant, il convient de considérer sérieusement l’option du retravail de la production générée en apportant sa touche de personnalité au moment de la production finale.

Le régime prévisible et plus favorable des productions assistées par rapport à celui des productions simplement générées

Si l’on considère qu’il n’y a pas de droit d’auteur sur les productions simplement générées par les IAG (notamment en raison de l’absence de paternité humaine), alors, elles appartiennent au domaine public. Sous ce statut, il convient de considérer que la production simplement générée est libre d’exploitation ce qui signifie une possibilité de l’utiliser librement par tous, et donc que la copie de la production par les tiers est possible, sans nécessiter une autorisation préalable à l’utilisateur qui aura permis de générer la production. Il n’est pas non plus possible de revendiquer légitimement une contrepartie financière pour l’exploitation par les tiers sur la production générée.

Gardons à l’esprit que ce principe de libre exploitation connait bien entendu une limite importante tenant au respect des droits des tiers : Ainsi, si la production générée intègre des éléments préexistant protégés au titre de la Propriété Intellectuelle, alors son exploitation sans autorisation de la part du (ou des) titulaire(s) concerné(s) serait susceptible de constituer des actes de contrefaçon. Sur ce point, les régimes de responsabilités liés à la violation des droits des tiers par les productions générées par les outils d’IA, comme la personne à qui les faits doivent être imputés fait également l’objet de débats et de très peu de décisions.

Comme nous l’avons vu, les productions assistées pourraient quant à elles permettre l’octroi d’un droit d’auteur au bénéfice de l’utilisateur sous réserve qu’elles manifestent l’empreinte de la personnalité de l’utilisateur, répondant ainsi au critère d’originalité, et qu’elles puissent se prévaloir d’une paternité humaine.

A l’heure actuelle, en dehors de la Chine, il semble que l’apport personnel de l’utilisateur au moment de la sélection des inputs ne suffise pas à lui attribuer un monopole exclusif sur la production finale en raison notamment de son absence de contrôle sur la production finale (aléatoire).

Dès lors, dans ce flou et tant que les IAG ne permettront pas un contrôle plus poussé de l’utilisateur sur les productions finales, seul le retravail de la création générée (en aval) pourrait permettre à l’auteur de marquer de son empreinte et de sa créativité personnelle un élément du domaine public et de reconstituer ainsi l’exclusivité des droits d’auteur sur l’œuvre finale. Par ses prérogatives, il pourrait alors notamment s’opposer à son exploitation par les tiers, et/ou en tirer des bénéfices pécuniaires. Il est en effet primordial de mobiliser de l’effort intellectuel humain et créatif sur une création pour que celle-ci puisse être récompensée par un droit d’auteur.

Adeline Laukas, Conseil en Propriété Industrielle en Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf, France

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