Marque tridimensionnelle et distinctivité : un rouge à lèvres peut être enregistré en tant que marque

Arrêt du Tribunal de l’Union Européenne du 14 juillet 2021 (aff T-488/20)

Par un arrêt en date du 14 juillet 2021, le Tribunal de l’Union Européenne a reconnu le caractère distinctif de la marque tridimensionnelle du fameux rouge à lèvres « Rouge G » de Guerlain, premièrement refusée à l’enregistrement par l’Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle (EUIPO) et par la chambre de recours.

Le 17 septembre 2018, la société Guerlain a déposé auprès de l’EUIPO une demande de marque tridimensionnelle pour son iconique rouge à lèvres représenté ci-après :

Rouge à lèvres Guerlain

Le 21 août 2019, l’examinateur a rejeté cette demande d’enregistrement de marque tridimensionnelle pour absence de caractère distinctif. Cette décision a été confirmée le 2 juin 2020 par la chambre de recours de l’EUIPO qui a souligné que les rouges à lèvres usuels existant sur le marché n’étaient pas considérablement différents : tous sont de forme cylindrique et les consommateurs sont habitués aux contenants de forme ovale. Afin de contester cette décision, la société Guerlain a saisi le Tribunal de l’Union Européenne.

D’une part, le Tribunal rappelle que l’exigence de distinctivité doit être appréciée de la même manière qu’il s’agisse d’une marque verbale, semi-figurative ou tridimensionnelle.

Pour mémoire, une marque dispose d’un caractère distinctif si le consommateur est en mesure d’identifier l’origine du produit ou service sur lequel elle est apposée. La notion de public pertinent permet notamment d’identifier quel consommateur doit être pris en compte dans le cadre de cette identification.

Dans son arrêt du 14 juillet 2021, le Tribunal souligne que l’appréciation du caractère distinctif d’une marque dépend de sa capacité à être identifiée par les consommateurs.

Le Tribunal vient ensuite relever les différentes caractéristiques du rouge à lèvres afin de déterminer le caractère distinctif de la marque tridimensionnelle. Il souligne que la forme en cause est inhabituelle pour du rouge à lèvres et diffère de toutes autres formes existantes sur le marché. Dans son analyse, la juridiction soutient que le rouge à lèvres se caractérise par une forme légèrement bombée d’un côté et d’une surface plane de l’autre avec une petite forme ovale en relief. Cette forme dans son ensemble rappelle selon lui celle d’une coque de bateau ou d’un couffin. De même, le Tribunal vient qualifier la protubérance permettant de verrouiller et déverrouiller le rouge à lèvres d’ « insolite » pour ce type de produit. Cela contribue ainsi à l’apparence inhabituelle de cette marque perçue par le consommateur.

D’autre part, le Tribunal rappelle que la marque tridimensionnelle doit diverger de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur concerné pour être considérée comme distinctive.

Dans son analyse, le Tribunal de l’Union Européenne souligne que le fait qu’un secteur se caractérise par la diversité de formes des produits proposés ne permet pas de déterminer que toute nouvelle forme sera dénuée de toute distinctivité. Une forme de produit différente ou étant une variante de la forme usuelle pourra donc également être enregistrée en tant que marque tridimensionnelle.

Ainsi, le Tribunal relève que la plupart des rouges à lèvres dans ce secteur sont de forme cylindrique, qu’ils peuvent être posés à la verticale et détiennent des angles droits. A l’inverse, la forme de rouge à lèvres de Guerlain ne peut tenir debout contrairement à toutes les autres formes de rouge à lèvres existant sur le marché. Cet aspect renforce l’effet visuel inhabituel pour le public pertinent de cette forme de rouge à lèvres.

Le Tribunal qualifie cette forme de « fantaisiste » et considère qu’elle diverge de manière significative de la norme et des habitudes du secteur concerné.

Enfin, compte tenu de l’ensemble de ces différentes spécificités, le Tribunal reconnait au rouge à lèvres de Guerlain un caractère distinctif, annule la décision de la chambre de recours et accepte par conséquent à l’enregistrement cette marque tridimensionnelle.

Cette décision permettra à l’EUIPO de réviser son analyse quant à l’appréciation des différents critères d’examen pour l’approbation d’une marque tridimensionnelle. L’exigence de distinctivité devra notamment être appréciée de la même manière qu’il s’agisse d’une marque verbale, semi-figurative ou tridimensionnelle.

Pour les entreprises, cette décision est une opportunité de protéger des produits iconiques sous la voile de la marque tridimensionnelle, levier efficace dans la lutte-anticontrefacon.

Affaire T-488/20 

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Léa de Ladoucette, Juriste en Propriété Industrielle – Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf France

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