Une précieuse decision

By Florence Chapin,

Le 12 septembre 2018, la troisième chambre du Tribunal de Justice de l’Union Européenne a rendu sa décision dans le cadre de la procédure de nullité initiée contre la marque internationale NUIT PRECIEUSE (Chefaro Ireland DAC contre European Union Intellectual Property Office (EUIPO) (affaire T-905/16)).

  • Le titulaire de la marque EAU PRECIEUSE dans la classe 3 a sollicité  la nullité de la marque NUIT PRECIEUSE en classe 3
  • La chambre des  recours a estimé que le mot "précieuse" n'était qu'un adjectif élogieux venant qualifier deux noms très différents
  • La Cour a reconnu que les similitudes se limitaient à la présence de l'adjectif élogieux " précieuse ".

Faits et procédure :

Nuit precieuseLa société française Laboratoires M&L SA est titulaire de la marque européenne NUIT PRECIEUSE en Classe 3 depuis le 15 février 2011. Le 22 septembre 2014, le demandeur, la société irlandaise Chefaro Ireland DAC, propriétaire de la marque antérieure EAU PRECIEUSE, a intenté une action en annulation contre la marque NUIT PRECIEUSE.Eau preciuse

Le 5 novembre 2015, la division d'annulation a fait droit à la demande en nullité et, le 12 février 2016, les Laboratoires M&L SA ont introduit un recours devant l'EUIPO.

Le 19 octobre 2016, la quatrième chambre de recours de l'EUIPO a annulé la décision de la division d'annulation.

En substance, la chambre des recours a conclu à l'absence de risque de confusion au sens de l'article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009. La chambre de recours a en effet estimé que les éléments de preuve présentés pour prouver le caractère distinctif accru de la marque antérieure n'étaient pas suffisants, puisque certains de ces éléments de preuve avaient peu de valeur probante ou montraient simplement l'usage de la marque, sans établir que le public concerné la reconnaissait.

La chambre de recours a également estimé que le terme commun "précieuse" ne saurait être considéré comme étant davantage distinctif ou dominant dans les marques en cause parce qu'il s'agit simplement d'un adjectif élogieux qualifiant deux noms très différents, "eau" et "nuit". Le fait que les deux signes soient composés de deux mots et se terminent par le mot "précieuse" ne saurait caractériser à lui seul le risque de confusion.

Le demandeur, la société Chefaro, a ensuite intenté une action devant le Tribunal de Justice de l’Union Européenne,  pour demander l'annulation de la décision. La requérante s'est fondée sur un seul moyen, par lequel elle a fait valoir ce qui suit :

  • La contestation de l'appréciation faite par la chambre de recours sur la comparaison des signes ;
  • Le fait que la chambre de recours n'avait pas procédé à une évaluation globale appropriée du risque de confusion ;
  • la marque antérieure présente  un caractère distinctif accru qui doit être pris en compte dans le cadre de l'évaluation globale du risque de confusion.

Décision :

Le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité.

Premièrement, la Cour a jugé que l’appréciation des similitudes  entre deux marques ne consiste pas à sélectionner un seul élément d'une marque composite et l’isoler afin de le comparer avec une autre marque. A contrario, la comparaison doit être effectuée en examinant chacune des marques en présence dans leur ensemble.

Dans la présente affaire, après avoir conclu que la marque contestée NUIT PRECIEUSE est un signe verbal composé d'éléments écrits dans un caractère standard et qu'elle devait être comparée à la marque antérieure EAU PRECIEUSE, la chambre de recours avait exposé son appréciation des éléments distinctifs et dominants ainsi qu’une comparaison visuelle, phonétique et conceptuelle des signes.

Concernant la marque antérieure EAU PRECIEUSE, la chambre de recours a estimé que cette expression signifiait soit "eau chérie", soit "eau précieuse" pour le public concerné. Pour plusieurs des produits en cause, à savoir, les "eaux de toilette ; eaux parfumées" de la classe 3, le signe antérieur doit être considéré comme ayant peu ou pas de caractère distinctif propre. Pour les autres produits de la classe 3, le caractère distinctif inhérent au signe antérieur reste modéré car ces produits ne peuvent être qualifiés d'"eau".

En ce qui concerne la marque attaquée  NUIT PRECIEUSE, la commission avait constaté qu'aucune des marchandises en cause n'était composée du mot "nuit" et, dans la mesure où la combinaison du mot "nuit" avec l'adjectif qualificatif précieuse" ne peut pas être comprise comme une expression didactique ou directement descriptive, le signe ne peut être considéré comme étant descriptif eu égard aux produits qu’elle couvre.

La Cour convient que, même si l'élément " précieuse " est le mot le plus long ou le mot contenant le plus de syllabes, cela est compensé par le fait que les mots plus courts, à savoir les éléments " nuit " et " eau ", sont les premiers mots de chaque signe. Pour ces raisons, la seule longueur de l'élément "précieuse" ne saurait avoir pour effet de le rendre dominant par rapport aux éléments placés au début des panneaux.

En l'espèce, c'est le nom, plutôt que l'adjectif, qui a déterminé la perception conceptuelle des signes en cause. Étant donné que l'appréciation, au regard notamment de la similitude conceptuelle des marques, doit se fonder sur l'impression d'ensemble donnée par ces marques, la Cour a estimé que le public français concerné ne percevrait pas le mot "précieuse" indépendamment dans les expressions « eau précieuse » et « nuit précieuse ».

La Cour  a également conclu que, malgré l'identité des marchandises couvertes par les signes en conflit  et le faible niveau d'attention du public concerné, il existait des différences claires entre les signes en cause. En effet, les similitudes entre les signes se limitaient à la présence de l'adjectif élogieux "précieuse", que le public français concerné ne percevrait pas individuellement mais exclusivement dans le contexte de chacune des marques en cause prises dans leur ensemble.

Cet adjectif n'a donc fait que qualifier les noms au début des signes, qui sont différents. De plus, les signes n'étaient pas similaires sur le plan conceptuel et ce facteur, en soi, a été mis en balance avec l'existence d'un risque de confusion.

Enfin, en ce qui concerne le caractère distinctif renforcé de la marque antérieure du fait de sa prétendue notoriété, le demandeur a déclaré que les éléments de preuve présentés ont été analysés séparément par la chambre des recours, qui est ainsi parvenue à la conclusion que ces éléments de preuve ne permettaient pas d'établir la reconnaissance de la marque antérieure par le public concerné. Toutefois, la requérante a estimé que, si les éléments de preuve avaient été appréciés globalement et dans leur ensemble, elle aurait dû reconnaître que la marque française antérieure avait renforcé son caractère distinctif en raison de son usage intensif et de longue durée.

Toutefois, en l'absence d'arguments de la partie requérante permettant de remettre en cause de manière spéculative l'une quelconque des constatations de la chambre de recours ou permettant de comprendre sur quelle base une appréciation globale de l'ensemble de ces éléments de preuve pourrait être suffisante pour mettre en cause ces constatations, le Tribunal a déclaré irrecevable la troisième partie du moyen unique invoqué par la requérante.

Cette décision dont l’issue est quelque peu sans surprise vient néanmoins rappeler utilement que, d'une part, le risque de confusion entre deux signes doit être apprécié globalement et que, d'autre part, les preuves présentées pour démontrer le caractère distinctif accru d'une marque antérieure doivent être suffisants et avoir une forte valeur probante.

Florence Chapin est Conseil en Propriété Industrielle – Marques, Dessins et Modèles chez Novagraaf France.

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