Quand l’ajout de l’élément « BY » ne suffit pas à évincer le lien avec une marque d’exceptionnelle renommée

By Clarisse Merdy,

Lorsqu’un géant pétrolier croise une marque d’hygiène féminine, il est primordial pour le Tribunal de rappeler que l’ajout d’un élément secondaire ne suffit pas à évincer lien entre deux marques et que dans ces conditions, le rayonnement et l’influence d’une marque de renommée exceptionnelle ne s’éteint pas aux frontières de son marché, comme l'explique Clarisse Merdy.

Un leader pétrolier contre une marque quelque peu inattendue

En Autriche, la société OMV AG jouit d’une grande réputation, ayant été fondée en 1956 et s’étant fait une place de choix dans l’industrie pétrolière et dans le domaine des énergies durables. C’est dans ce contexte que ce Majors a pris connaissance d’une marque « OMV! BY VAGISIL », enregistrée au nom de la société Combe International LLC pour des produits non médicinaux destinés essentiellement à l’hygiène féminine (classes 03 et 05). 

C’est donc sur les fondements suivants que ce leader pétrolier a engagé une action en nullité à l’encontre de ladite marque de l’Union Européenne, le 16 août 2021 :

  • Atteinte à la renommée de ses marques antérieures, limitée aux produits relevant de la classe 4 et aux services relevant des classes 37 et 40 (article 60, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 5, du Règlement sur la Marque de l’Union Européenne (ci-après « RMUE »)) ; et
  • Risque de confusion avec ses marques antérieures en classes 01, 04, 37 et 40 (article 60, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, sous b), dudit règlement).

La chambre de recours nie l’existence d’une similarité entre les signes et écarte le lien entre les marques

n°000221598 n°000221606

Cette action en nullité opposait donc les marques (ci-dessus) de l’Union Européenne n°000221598 (enregistrée depuis le 21 mars 2000) et n°000221606 (enregistrée depuis le 23 janvier 2001), à la marque de l’Union Européenne “OMV! BY VAGISIL” n°017980289 (enregistrée depuis le 19 mars 2019) de la société Combe International LLC.

Suite à une décision défavorable prononcée par la Division d’annulation, OMV AG a néanmoins souhaité maintenir sa position en formant un premier recours devant la 4e chambre de recours de l’EUIPO, laquelle prononça également le rejet de la demande de nullité de la marque “OMV! BY VAGISIL” sur les fondements suivants :

  • Les produits et services désignés par les marques en conflit ne sont pas similaires, en excluant ainsi tout risque de confusion au sens de l’article 8, paragraphe 1, b) du RMUE ;
  • Malgré un degré de similitude « moyen » entre les signes et la renommée importante des marques d’OMV en Autriche pour les produits et services des classes 4, 37 et 40, aucun lien ne peut être établi entre les marques, compte tenu de la différence de nature et de marché des produits (article 8, paragraphe 5 du RMUE).

Elle conclut donc qu’en l’absence d’un tel lien, l’usage de la marque contestée ne serait pas de nature à tirer indûment profit de la renommée ou du caractère distinctif des marques antérieures d’OMV, ni à leur porter préjudice.

Bien que cette décision illustre la prudence de l’EUIPO lorsqu’il s’agit d’étendre la protection conférée par la renommée d’une marque à des secteurs d’activité très éloignés, cette conclusion n’a pas été acceptée par OMV AG, qui a formé un nouveau recours devant le Tribunal de l’Union Européenne, souhaitant ainsi faire reconnaitre le lien existant entre les marques, celle-ci ayant accordé : « une valeur décisive à l’absence de similitude entre les produits et les services ». La requérante a donc rappelé au TUE l’importance de prendre en compte tous les facteurs pertinents dans l’appréciation de l’existence d’un lien entre une marque contestée et une marque antérieure de renommée.

Consécration d’un lien avec une marque de renommée exceptionnelle : rappel de l’importance de l’appréciation d’un degré de similitude même moindre

Retournement de situation ici, le Tribunal ayant annulé la décision de la chambre de recours pour l’essentiel au motif d’une erreur d’appréciation. En effet, la comparaison des signes en l’espèce était le point clef de la décision finale, dans la mesure où l’existence d’une similitude entre deux marques constitue une condition d’application commune à l’article 8, paragraphe 1, sous b), et à l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001. Le point qui diffère entre ces deux fondements est le degré de similitude. Pour appliquer l’article 8 (5), contrairement à l’article 8 (1), il suffit que la similitude existe, peu importe son degré (faible, moyen ou élevé).

Dans cette affaire, le TUE a considéré que la marque contestée était composée de « BY » (par), de « VAGISIL » (nom commercial ou marque) et « OMV ». En parallèle, il a estimé que la chambre de recours avait commis une erreur en considérant que l’expression « BY VAGISIL » suffisait à écarter tout lien avec les marques antérieures d’OMV AG. Selon la chambre de recours, cette mention indiquait clairement l’origine des produits, empêchant ainsi toute association avec la société pétrolière. Le Tribunal rejette cette approche : l’élément « OMV », placé en tête du signe et doté d’un caractère distinctif propre, demeure l’élément dominant et commun aux marques en conflit. En conséquence, l’existence d’un lien entre les signes ne pouvait être exclue du seul fait de la présence de « BY VAGISIL ». Or, ce lien constitue une condition préalable essentielle pour appliquer l’article relatif à l’atteinte à la renommée.

A présent concernant la reconnaissance de la renommée des marques antérieures (qui n’avait pas été niée par la Chambre des recours), le TUE a mis en exergue une notion majeure façonnée par la jurisprudence : celle de la renommée exceptionnelle (« Outstandingly high reputation »). Elle caractérise une renommée transversale qui rayonne au-delà du public concerné par les produits ou services objets de la marque antérieure (en classes 4, 37, et 40 en l’espèce).  Le TUE entre donc dans le sillage de la Chambre des recours en retenant qu’OMV AG avait prouvé avec succès que ses marques antérieures jouissaient d’une renommée exceptionnelle, s’étendant au-delà des produits et des services de ses classes d’intérêt et du public concerné (grand public et professionnels). Il a également rappelé que cette renommée exceptionnelle renforçait le caractère distinctif de ces signes, qu’il y avait alors lieu de considérer comme élevé.

Sur la comparaison des produits et services, il est rappelé que nature et degré de proximité constituent des facteurs pertinents dans l’appréciation du lien entre les marques. Dans le présent cas, bien qu’il ne soit en rien nié que lesdits produits et services soient non-complémentaires et « radicalement différents » (destinations, natures, points de vente et fabricants différents, etc), le TUE relève un chevauchement des canaux de distribution, à savoir les stations-service, aptes à vendre des produits de soins personnels couverts par la marque contestée.

L’ajout de « BY » ne suffit pas à échapper au lien créé avec une marque de renommée antérieure

Sur la base de ces éléments, l’arrêt « OMV! BY VAGISIL » rappelle avec force que la renommée d’une marque offre une protection élargie, susceptible de s’étendre à des secteurs très éloignés de son domaine d’activité. Le Tribunal a expressément indiqué que l’ajout d’un élément secondaire – en l’espèce « BY VAGISIL » – ne suffisait pas à s’approprier le terme d’entame et hautement distinctif « OMV », en évinçant tout lien qui pourrait être fait dans l’esprit du public pertinent avec la marque antérieure « OMV », reconnue comme jouissant d’une renommée exceptionnelle.

Cet arrêt a été l’occasion pour le TUE de décomposer l’article 8, paragraphe 5, du règlement 2017/1001 et rappeler les conditions impérativement cumulatives de la reconnaissance d’une protection élargie d’une marque dite de renommée :

  1. La marque antérieure dont la renommée est revendiquée et qui est opposée à une autre marque postérieure doit être enregistrée ;
  2. Les marques en conflit doivent être identiques ou similaires (à minima à un moindre degré) ;
  3. La marque antérieure doit jouir d’une renommée, que ce soit dans l’Union (pour une marque de l’Union Européenne) ou dans l’Etat membre concerné (en cas de marque nationale) ;
  4. L’usage sans juste motif de la marque contestée doit conduire au risque d’un profit puisse être indûment tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure.

La plaque tournante en l’espèce a été la reconnaissance d’une renommée exceptionnelle. Ceci signifie que les marques antérieures jouissent d’une renommée allant au-delà du public concerné par les produits et services les portant. Pour ce faire, la requérante avait procédé à la soumission d’une étude portant sur le niveau de connaissance des noms de certaines entreprises, indépendamment du secteur dans lequel elles exerçaient leurs activités, ses marques avaient reçu une reconnaissance de 96% par le grand public. Cette annexe avait alors permis de prouver que ses marques étaient les plus reconnues par le public autrichien devant d’autres marques de renommée, sans rapport avec son domaine d’activité.

En définitive, cette décision illustre avec force que la renommée, lorsqu’elle atteint un degré exceptionnel, constitue bien plus qu’un simple atout commercial : elle devient un levier juridique de protection renforcée. Une telle renommée, dûment démontrée, permet au titulaire de protéger sa marque et son exploitation au-delà de son marché d’origine et d’imposer le respect de son identité même face à des signes opérant dans des secteurs radicalement éloignés. Ainsi, le Tribunal réaffirme qu’aucun ajout secondaire ne saurait neutraliser la portée d’un terme d’entame hautement distinctif, dès lors qu’un lien, fût-il ténu, peut être perçu par le public pertinent. Cet arrêt consacre donc la capacité d’une marque de renommée exceptionnelle à contraindre toute appropriation parasitaire de son capital distinctif, consolidant la fonction essentielle de garantie d’origine et la dimension dissuasive du régime prévu à l’article 8, paragraphe 5, du RMUE.

Clarisse Merdy, Juriste en Propriété Industrielle, Novagraaf, Bordeaux 

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