Osez la couleur ! Dans quelle mesure peut-on enregistrer une couleur à titre de marque ?

La couleur emblématique d’une industrie ou d’une maison de luxe est un élément d’identification très fort. Si l’on pouvait facilement enregistrer une couleur à titre de marque il y a une quinzaine d’années, la jurisprudence européenne est venue endurcir cet exercice en l’encadrant très précisément.

L’acquisition récente par LVMH en novembre 2019 de la société Tiffany’s nous invite à nous interroger sur la protection des couleurs en tant que marque au niveau européen et national. Il peut paraître étonnant que ce bleu turquoise éclatant dont la valeur économique est très importante ne soit pas enregistré en tant que marque au sein de l’Union Européenne, alors qu’il jouit d’une protection dans plusieurs classes en France. De quoi en faire voir de toutes les couleurs…

Depuis l’arrêt Libertel[1], il n’est pas aisé de faire enregistrer une couleur à titre de marque au sein de l’Union Européenne et la Cour de Justice est venue encadrer rigoureusement cette pratique.

De stricts critères

La Cour de Justice dans cette décision considère que le consommateur n’est pas en mesure d’identifier l’origine et la provenance des produits et services par la simple contemplation d’une couleur.

En effet, une couleur serait susceptible de constituer une marque sous de strictes conditions, et notamment par la mention expresse dans le dépôt d’un des codes d’identification internationalement reconnus, tel que Pantone, Rex ou Hal. Le déposant devra également recueillir d’innombrables preuves d’usage afin de démontrer que la marque est absolument inhabituelle ou frappante par rapport à des produits spécifiques[2].

De l’acquisition du caractère distinctif par l’usage

Afin d’obtenir l’enregistrement d’une couleur, la Cour de Justice exige également que le titulaire soit en mesure de rapporter la preuve du caractère distinctif acquis par l’usage de sa marque. La difficulté est que l’appréciation de ce caractère distinctif doit être faite de manière globale avec les éléments les plus pertinents à disposition du titulaire : part de marché détenue par la marque, l’étendue géographique, l’intensité et la durée d’usage de la marque, l’importance des investissements publicitaires réalisés.

Cette condition limite donc les dépôts aux couleurs déjà présentes sur le marché et bénéficiant d’une renommée en tant que marque auprès du public pertinent sur l’ensemble du territoire européen.

Veuve Clicquot aura notamment réussi à faire enregistrer son orange brut en raison des parts de marché dans les États membres et par les publicités et articles de presse qui font expressément référence à cette couleur pour parler du champagne[3] . La RATP quant à elle s’est vu refuser son vert jade historique car la marque n’était exploitée qu’en France[4] et non sur l’ensemble du territoire communautaire.

Et qu’en est-il des combinaisons de couleurs ?

L’Office européen n’est pas plus clément. La position et la proportion des couleurs doivent être strictement précisées. Une combinaison de couleurs désignées de manière abstraite et sans contour doit adopter une disposition logique. L’association de couleurs doit être prédéterminée et constante[5].

Une jurisprudence nationale plus souple

Rares sont les dépôts de couleurs réalisés au niveau national, que ce soit en France ou dans les autres Etats membres. Les critères d’enregistrement restent stricts, et les juridictions suivent les conditions préconisées par l’Union Européenne. En 2005, la Cour d’appel de Paris a notamment reconnu valable le bleu acier Decathlon qui visait un code Panthone spécifique[6].

L’acquisition du caractère distinctif par l’usage doit également être rapportée ; à la simple différence qu’il doit être établi uniquement sur le territoire concerné. L’enregistrement d’une couleur est donc facilité puisque la preuve d’un d’usage continu, intense et de longue durée est plus aisée à démontrer dans chaque pays individuellement. En France, la Cour d’appel de Lyon a accepté à l’enregistrement la combinaison des couleurs bleu et jaune du club de rugby AS Clermont Auvergne pour un grand nombre de produits[7]. La Cour livre une appréciation brève du caractère distinctif acquis par l’usage et se limite à la reconnaissance des couleurs par les supporteurs de rugby. Nous en déduisons donc une appréciation plus souple de la part de la jurisprudence française sur l’enregistrement de couleurs.

Le choix de la protection subordonné à la territorialité

Que ce soit au niveau communautaire ou national, l’acquisition du caractère distinctif par l’usage doit être établi afin d’obtenir l’enregistrement d’une couleur. Mais pas la peine d’être blanc comme un linge. Si votre couleur n’est pas reconnue sur l’ensemble du territoire européen, le dépôt national pourra être préféré afin de tenter un enregistrement dans la mesure où il sera plus facile de rapporter des preuves spécifiques d’usage pour le pays concerné.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à contacter votre conseil habituel ou à envoyer un mail à tm.fr@novagraaf.com.

Léa de Ladoucette, Juriste en Propriété Intellectuelle - Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf France.

[1] CJCE, 6 mai 2003, aff. C-104/01, Libertel Groep BV : Prop. Industr. 2003, comm. 76, P. Tréfigny
[2] Directives relatives à l’examen des marques de l’Union Européenne, partie B, sect. 4, chap. 3, p.6
[3] EUIPO, 12 nov. 2018, cancellation No. 12 033
[4] EUIPO, 28 nov. 2011, rejet de la demande 009766312
[5] CJCE, 24 juin 2004, aff. C-49/02, Heidelberger Bauchemie GmbH
[6] CA Paris, 30 mars 2005 n°04/5546
[7] CA Lyon, 17 mai 2018, n°16/04791 : JurisData n°2018-012623

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