Le piège de la sélection parmi des choix… évidents

Par Lise Luciani,

Une invention de sélection consiste à sélectionner, dans un ensemble connu ou une plage de valeurs connue : des éléments individuels, ou des sous-ensembles, ou des sous-plages de valeurs limitées qui n’ont pas été mentionnés explicitement.

Comme toutes les autres catégories d’invention, les inventions de sélection, pour être brevetables, doivent être nouvelles et inventives.

Selon la pratique actuelle de l’Office Européen des Brevets, dans le cas d’une sélection d’éléments individuels, la sélection d’éléments doit être effectuée dans au moins deux listes pour former une combinaison de caractéristiques nouvelles.

Des exemples typiques de ce type de sélections à partir de deux listes ou plus sont par exemple :

  1. a) Des composés chimiques individuels obtenus à partir d'une formule générique connue, le composé choisi découlant de la sélection de substituants spécifiques à l'intérieur d'au moins deux "listes" de substituants données pour définir la formule générique connue ;
  2. b) Des mélanges spécifiques découlant de la sélection de composants individuels à partir de listes de composants formant le mélange de l'état de la technique ;
  3. c) Des produits de départ pour la fabrication d'un produit final ;
  4. d) Des moyens assemblés les uns aux autres et en interaction dans un produit final.

Toutefois, si la sélection dans deux listes ou plus peut lui conférer de la nouveauté, il n’en reste pas moins que cette sélection doit également satisfaire au critère d’activité inventive pour permettre l’obtention d’un brevet en Europe.

D’une manière générale, l’Office Européen des Brevets préconise l’approche could-would pour évaluer l’activité inventive d’une invention. Cette approche consiste à se demander si l'homme du métier aurait procédé à la sélection dans l'attente d'une amélioration ou d'un avantage. Dans de tels cas, on peut regarder s’il existe un « pointeur », c'est-à-dire un passage dans le document de l’art antérieur dans lequel se trouve les listes, incitant l'homme du métier, par exemple à l'aide de préférences ou de références, à lire inévitablement certains des passages cités en combinaison. Si la réponse est négative, l'objet revendiqué implique une activité inventive.

Toutefois, un certain courant de jurisprudence considère que dans certains cas, l'approche "could-would" ne s'applique pas, comme cela est illustré par une décision d’une Chambre de recours rendue le 26 août 2021.

Dans le cas d’espèce, la revendication 1 de la requête principale comprenait les caractéristiques techniques suivantes :

  • a) Un appareil auditif comprenant une unité adaptée pour convertir et traiter le son en un signal électrique et un élément tubulaire adapté pour communiquer ledit signal électrique à un écouteur,
  • b) dans lequel ledit écouteur comprend un élément de canal adapté pour assurer un ajustement serré dudit écouteur dans un conduit auditif et un élément de haut-parleur;
  • c) dans lequel ledit élément de canal comprend des moyens d’accrochage;
  • d) dans laquelle ledit élément de haut-parleur comprend une section de crête circonférentielle, qui est adaptée pour s’enclencher dans l’engagement avec lesdits moyens d’accrochage, maintenant ainsi ledit élément de haut-parleur dans l’élément de canal dans une position axialement fixée dans un alésage dudit élément de canal, tout en permettant le mouvement de rotation dudit élément de haut-parleur dans ledit élément de canal.

Un seul document de l’état de la technique (D1) était pris en compte pour l’évaluation de l’activité inventive.

Selon la Chambre de recours, les caractéristiques techniques distinctives de l’objet de la revendication 1 par rapport à D1 sont les caractéristiques c) et d).

L’effet technique associé aux caractéristiques c) et d) est de fournir une connexion facile et fiable entre l’élément canal et l’élément haut-parleur tout en permettant un positionnement réglable de l’élément haut-parleur.

Le problème technique objectif correspondant est donc formulé par la Chambre de recours comme « comment assurer une connexion facile et fiable entre l’élément canal et l’élément haut-parleur qui permet un positionnement réglable de l’élément haut-parleur ».

L’homme du métier concerné chargé du problème technique objectif appartient au domaine des « appareils auditifs ». Selon la chambre de recours, sur la base de ses connaissances techniques générales, cet homme du métier connaît plusieurs solutions au problème technique objectif posé, telles que le serrage ou la suspension résiliente, ou encore la connexion rotative des caractéristiques c) et d). L’homme du métier connaît également les avantages et les inconvénients respectifs de chacune de ces solutions. La configuration des caractéristiques c) et d) représente donc une sélection purement évidente et, par conséquent, non inventive parmi un certain nombre de possibilités connues et tout aussi probables.

Dans de tels cas, la Chambre a indiqué que l’approche « could-would » ne s’applique normalement pas. Ainsi, pour considérer toutes les solutions qui sont également évidentes, il suffit que l’homme du métier puisse reconnaître les solutions concernées sans efforts inventifs: un « pointeur » n’est alors pas nécessaire à cette fin.

Cette approche est également suivie par l’Office Européen des Brevets lorsque la sélection ne consiste qu’en une solution alternative parmi plusieurs possibles, sans conférer d’avantages particuliers.

Gardons donc à l’esprit qu’une sélection, pour être brevetable, ne doit pas résulter d’une sélection arbitraire !

Si vous avez des questions ou souhaitez nous contacter sur ces sujets, n'hésitez pas à contacter votre conseil habituel ou à envoyer un mail à pat.fr@novagraaf.com.

Lise Luciani, Conseil en Propriété Industrielle – Brevets, Novagraaf, France

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