Une contrefaçon de mauvaise qualité n’en demeure pas moins une contrefaçon

Par Cyrille Poindron,

Dans son arrêt du 23 janvier 2019, la Cour de cassation a confirmé l'approche de la cour d'appel qui a jugé qu'un appareil qui reproduisait de manière imparfaite une caractéristique d'une revendication devait bien être considéré comme une contrefaçon.

L’arrêt du 23 janvier 2019 de la Cour de Cassation, déjà discuté le mois dernier dans un premier article relatif à la suffisance de description, comporte également une autre partie intéressante, relative à l’appréciation de la contrefaçon.

La contrefaçon d'un brevet est appréciée par les juges en vérifiant que le produit ou le procédé argué de contrefaçon reproduit toutes les caractéristiques de la (ou des) revendication(s) du brevet.

En l’espèce, la revendication 1 du brevet EP 1 067 822 B1 est la suivante, le passage souligné étant celui qui a attiré l'attention des parties et des juges et qui est l'objet de notre article :

"Procédé de fabrication d'un élément chauffant pour appareil de chauffage ou cuisson, du type comprenant un moyen calorifique associé à un dissipateur thermique, caractérisé en ce qu'il consiste à placer dans un moule (M1, M2) un moyen calorifique (1) faisant office de noyau, ledit moyen ainsi que la paroi interne du moule étant conformés aux formes et dimensions de l'élément chauffant à réaliser, ledit moyen calorifique (1) comportant au moins une enveloppe en matériau fusible et à couler dans le moule un matériau fondu constitué d'un alliage notamment ferreux à température de fusion sensiblement équivalente à celle de ladite enveloppe du moyen calorifique, cette enveloppe présentant une épaisseur et une inertie thermique suffisantes pour permettre une fusion superficielle de l'enveloppe sans la détériorer."

Le passage souligné précise que l'enveloppe du noyau est fondue en périphérie par le métal coulé. Le brevet en cause EP 1 067 822 B1 explique en particulier dans sa description au §0006 que "Tout écran tels qu'interstices ou lame d'air entre la résistance et son dissipateur formé par l'alliage noyant la résistance, est supprimé".

En ce qui concerne les produits argués de contrefaçon (deux modèles d'appareils de chauffage), un rapport d'expertise a précisé que l'un des modèles incriminés :

  1. a bien été réalisé par un procédé de fonderie, que la résistance a été placée dans le moule préalablement à son remplissage par de la fonte liquide, laquelle s'est ensuite solidifiée, provoquant, par sa chaleur lors de la coulée, la fusion de la gaine de la résistance ;
  2. présente toutefois des discontinuités entre la fonte et la gaine dues à des défauts de fonderie.

Dès lors, un tel appareil, qui a été fabriqué en suivant toutes les caractéristiques du procédé revendiqué, mais qui présente des défauts (des interstices ou lames d'air), est il une contrefaçon du brevet, alors que ce brevet explique que tout écran (interstices, lame d'air) est supprimé?

La Cour d'Appel a répondu par l’affirmative, en considérant que le résultat imparfait n'est que la conséquence d'un manque de savoir faire du fabricant dans la réalisation du procédé breveté. La Cour de Cassation n'a rien trouvé à redire à cette approche. En d'autres termes, une contrefaçon de mauvaise qualité reste une contrefaçon.

Un autre aspect intéressant de cette partie relative à l’appréciation de la contrefaçon se rapporte au passage de la revendication 1 qui revendique "des températures de fusion sensiblement équivalentes".

En effet, les parties ont longuement discuté cet aspect, et la Cour d’Appel a statué que des températures de fusion de 1200°C et 1500°C (respectivement du matériau coulé et du matériau de la gaine de la résistance des produits argués de contrefaçon) étaient sensiblement équivalentes (au contraire de températures de 660°C et de 1500°C évoquées dans les documents de l'art antérieur, considérées trop éloignées l'une de l'autre).

L'une des parties a soumis des arguments devant la Cour de cassation visant à faire dire que les températures de 1200°C et 1500°C ne sont pas sensiblement équivalentes.

La Cour de cassation a écarté cependant ces discussions devant la Cour d'appel (quant à savoir si des températures de 1200°C et 1500°C étaient sensiblement équivalentes), les considérant superflues (motif surabondant), sans donner d'explication détaillée.

Pour notre part, nous pensons que la Cour de cassation part du principe que si le résultat revendiqué (la fusion superficielle de l'enveloppe) est reproduit, alors la fonction revendiquée (des températures de fusion sensiblement équivalentes) est forcément reproduite, si bien que la Cour d'appel n'avait même pas besoin de justifier que cette partie de la revendication était reproduite.

On peut aussi remarquer, au regard des efforts déployés par les parties pour discuter de cette caractéristique (des températures de fusion sensiblement équivalentes), que le terme "sensiblement" a introduit une part de subjectivité et d'interprétation qui a conduit à de longues discussions, si bien que l'usage de ce terme ("sensiblement") semble plutôt à éviter dans une revendication de brevet quoiqu’on pourrait se demander en l’espèce s’il ne permet pas, grâce à cette même part de subjectivité, de couvrir une plage de valeurs équivalentes éventuellement plus grande.

En conclusion de cette analyse, nous pouvons retenir les deux enseignements suivants :

  1. même si un objet ou un procédé reproduit de manière imparfaite une revendication de brevet, alors il faut considérer qu'il y a un risque élevé de contrefaçon ;
  2. utiliser le terme "sensiblement" dans une revendication revient à introduire une part d'incertitude quant à la portée de cette revendication, il faut donc être conscient des conséquences que cela peut avoir lors de la procédure de délivrance du brevet, et même lors des procédures judiciaires comme dans le cas présent.

Cyrille Poindron est un Conseil en Propriété Industrielle – Brevets – Directeur de Département chez Novagraaf Switzerland.

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