EUIPO - Limitation de marque, un moyen rapide et économique de résolution des conflits ?

Par Pauline Pilaudeau,

Procéder à une limitation de marque peut constituer un bon moyen de régler, à l’amiable, un conflit avec un tiers. Cependant, dans certain cas, ce choix peut s’avérer périlleux.

Introduction

Au cours de la vie d’une marque, il arrive que les droits qui en découlent soient remis en cause, et ce, de plusieurs manières différentes. Tout d’abord, il peut s’agir d’un conflit avec un tiers titulaire de droits antérieurs. Il peut aussi s’agir d’une remise en cause totale de l’existence des droits, soit à la suite d’un évènement faisant que le titulaire doit être déchu de ses droits, soit parce que le signe en cause ne pouvait, dès le départ et donc son dépôt, constituer une marque valable.

Les procédures permettant cette remise en cause sont initiées devant l’office, l’EUIPO, et peuvent impliquer plusieurs échanges entre les parties en cause et l’Office.

Le droit de marque peut faire, toutefois, l’objet d’une limitation, permettant de renoncer partiellement ou totalement aux droits sur le titre en cause. Les titulaires de marques contestées peuvent dès lors être tentés par cette solution afin de régler le différend le plus rapidement possible.

Cela étant, si cette solution peut être très utile dans certains cas, dans d’autres, elle ne permet malheureusement pas de mettre fin à la procédure en cause et il peut, alors, être bénéfique d’attendre, à titre d’alternative, la décision de l’office sur le fond.

Nous présenterons dans un premier temps la formalité de limitation en tant que telle (I.). Nous verrons ensuite qu’elle peut être moyen efficace et rapide de résolution des conflits dans le cadre d’oppositions (II.), mais que cette solution s’avère moins adaptée dans les procédures d’annulation (III.)

La limitation de marque, qu’est-ce que c’est ?

Une marque est constituée d’un signe qui est associé à une liste de produits et/ou services, pour lesquels son titulaire entend l’exploiter. Lorsque la marque est enregistrée, le titulaire jouira de droits exclusifs sur le signe, pour les produits/services qu’il a désigné, ce qui lui permettra d’agir contre des signes identiques ou similaires, associés à des produits/services identiques ou similaires. Cela constitue le périmètre de protection accordée par le droit de marque.

Procéder à une limitation signifie que le titulaire de la marque en question va restreindre ce périmètre de protection, en modifiant la liste des produits et/ou services couverts.

Pour cela, il est possible d’abandonner certains des produits/services désignés, par exemple, passer de « vêtements, chaussures, chapellerie » à « vêtements » ou d’ajouter une phrase permettant d’exclure certains produits et/ou services de la protection ou d’en limiter le périmètre (par exemple, passer de « cosmétiques » à « cosmétiques ; tous les produits précités relevant des soins de la peau »).

Il est également possible pour un titulaire de renoncer totalement aux droits qu’il détient sur sa marque. Il ne s’agit alors plus d’une limitation, mais d’une renonciation, d’un véritable abandon.

Par ailleurs, il convient de noter qu’en fonction du moment où intervient la limitation ou l’abandon, les termes à employer ne sont pas les mêmes.[A1] 

Si la limitation ou la renonciation intervient avant que la marque ne soit enregistrée, c’est-à-dire pendant la période d’examen (ce qui comprend la période d’opposition), il convient de parler d’un retrait (total ou partiel).

Si elle intervient une fois que la marque est enregistrée, il s’agit alors d’une renonciation (totale ou partielle).

Pour procéder formellement au retrait ou à la renonciation, il convient de remplir le formulaire correspondant auprès de l’EUIPO. Aucune taxe n’est prévue, la formalité est gratuite. La limitation sollicitée deviendra effective une fois que le retrait/la renonciation sera inscrite aux registres des marques, ce qui, on le verra par la suite, peut prendre plus ou moins de temps.

Dans le cadre d’une opposition, la limitation est généralement inscrite en quelques jours et aura des effets différents en fonction de la nature du retrait (partiel ou total) sollicité et de la phase de la procédure à laquelle elle intervient.

Effet du retrait partiel ou total dans le cadre d’une opposition

Une fois que l’EUIPO a terminé l’examen d’une demande de marque et considère qu’elle satisfait aux exigences pour être enregistrée, il publie cette demande aux fins d’opposition, afin que les tiers disposant de droits antérieurs pertinents puissent intervenir, l’Office ne rejetant pas de lui-même les marques sur la base de l’existence de marques antérieures conflictuelles.

Lorsque le titulaire d’une marque antérieure considère que la demande de marque en cause est trop proche de ses propres droits, procéder au retrait partiel ou total de cette dernière peut permettre de mettre rapidement fin à un conflit et de limiter les coûts de procédure :

  • Tout d’abord, le retrait peut intervenir préalablement à l’initiation de toute procédure, par exemple à la suite de la réception d’une lettre en demeure faisant état des droits antérieurs. Dans ce cas, la demande de marque est encore en cours d’examen, la procédure se poursuit alors avec le libellé modifié.

En conséquence, si des objections (de forme ou de fond) doivent être émises ou si la marque doit faire l’objet d’une opposition de la part d’un autre tiers, c’est ce libellé limité dont il conviendra de tenir compte.

  • Le retrait peut ensuite intervenir au stade de l’examen de la recevabilité de l’action ou pendant la période de réflexion prévue par la procédure. Dans de tels cas, la phase d’instruction de la procédure n’a pas encore commencé.

Il convient ici de distinguer les conséquences découlant d’un retrait partiel et celles d’un retrait total.
Lorsque la demande de marque en cause est totalement retirée ou bien partiellement retirée pour l’ensemble des produits faisant l’objet de l’opposition, la procédure d’opposition est automatiquement clôturée puisqu’elle devient sans objet.

La taxe d’opposition est alors remboursée à l’opposant.

Dans le cas d’une limitation partielle susceptible de contenir encore des produits/services litigieux, un examen de la recevabilité est effectué. Le retrait partiel est alors notifié à l’opposant et il lui est demandé d’indiquer s’il souhaite poursuivre ou non la procédure d’opposition.

Si l’opposant est satisfait par la limitation, il retire son opposition et la procédure est clôturée. De nouveau, la taxe d’opposition lui est remboursée.

  • Le retrait peut encore intervenir au cours de la phase d’instruction de la procédure d’opposition.

Lorsque la limitation couvre toute l’étendue de l’opposition, ou lorsque la marque en cause est totalement retirée, la procédure est clôturée.

Si la limitation est partielle, l’opposant en est notifié et doit informer l’Office s’il souhaite maintenir ou retirer l’opposition. Si l’opposition est maintenue, la procédure se poursuit. Si l’opposition est retirée, la procédure d’opposition est clôturée.

L’EUIPO rend ensuite une décision sur les frais, à moins que les parties n’indiquent avoir conclu un accord sur ce point. Une fois la phase d’instruction commencée, la taxe d’opposition n’est plus remboursée.

  • Le retrait peut, enfin, intervenir après que la décision d’opposition a été rendue. Dans une telle hypothèse, il n’y a pas de conséquence sur la procédure d’opposition en tant que tel. En revanche, il peut en avoir si une des parties décide de contester la décision d’opposition. Dans ce cas, si la procédure se poursuit en appel, il convient de prendre le libellé modifié en compte. Si la marque en cause est totalement retirée, alors l’opposant qui ne serait pas satisfait de la décision d’opposition n’a plus d’intérêt à poursuivre la procédure. Aucun recours n’est possible.

En conclusion, il convient de retenir que, dans la procédure d’opposition, l’EUIPO considère que la demande de limitation doit primer sur la procédure[A2] , dans la mesure où elle va influencer son issue. C’est cette primauté[A3]  qui permet à la limitation de présenter un réel avantage en permettant de mettre fin rapidement au litige, en particulier en cas de retrait total.

Nous allons voir maintenant que la situation est différente dans le cadre des actions en annulation, ce qui réduit l’intérêt d’une renonciation.

Effet de la renonciation partielle ou totale dans le cadre d’une action en nullité ou en déchéance

En principe, dans les procédures d’annulation, les conséquences d’une renonciation totale ou partielle sont similaires à celles d’un retrait dans les procédures d’opposition.

Cela étant, alors que dans la procédure d’opposition le retrait et la décision d’opposition ont le même objectif, c’est-à-dire le rejet d’une demande de marque, qui n’accédera donc pas à l’enregistrement, ce n’est pas le cas dans les procédures d’annulation. En effet, l’action en nullité tend à faire reconnaître que la marque en cause ne remplissait pas, dès son dépôt, les conditions pour accéder à l’enregistrement, tandis que l’action en déchéance tend à faire reconnaître qu’à la suite d’un évènement, le titulaire d’une marque doit être déchu de ses droits. Les effets d’une renonciation, qui acte la cessation des droits à la date de sa demande, sont donc différents de ceux qu’aura la décision rendue au fond par l’EUIPO.

Comme indiqué plus haut, la renonciation produit ses effets à la date à laquelle est inscrite. En revanche, la nullité produit ses effets à partir d’une date antérieure, à savoir, dès la date de dépôt de la marque en cause, tandis que la déchéance produit ses effets à la date de la demande en déchéance, ou bien, le cas échéant, dès la date à laquelle le motif de déchéance est intervenu. Or, ces dates ne peuvent pas coïncider avec la date de la renonciation. Dès lors, les demandeurs en nullité/déchéance peuvent avoir un intérêt à ce que les procédures initiées se poursuivent, quand bien même il aurait été renoncé totalement à la marque.

En conséquence, contrairement à la procédure d’opposition, dans les procédures d’annulation, l’EUIPO considère que ce sont ces dernières qui doivent primer sur la demande de renonciation. Dès lors, si un titulaire de marque sollicite la renonciation totale ou partielle à sa marque, qui fait l’objet d’une procédure en nullité ou en déchéance, et si la renonciation affecte l’objet de cette procédure, l’Office suspend l’enregistrement de la renonciation.

Il revient alors au demandeur en annulation d’indiquer s’il est satisfait de la renonciation et retire son action, ou bien souhaite la poursuivre. Les mécanismes dans le cadre d’une action en déchéance et d’une action en nullité, bien que proches, présentent de légères différences :

  • Action en déchéance

Si le demandeur à l’action retire sa demande, la renonciation est enregistrée et la procédure est close sans décision quant au fond.

Néanmoins, il convient de noter que si le demandeur retire son action et accepte donc la renonciation, il peut tout de même solliciter une décision sur les frais.

Si le demandeur ne répond pas, la suspension de la renonciation est maintenue et la procédure d’annulation se poursuit jusqu’à une décision définitive quant au fond soit rendue.

  • Action en nullité

Si le demandeur à l’action retire sa demande, la renonciation est enregistrée et la procédure est close sans décision quant au fond, comme dans l’action en déchéance.

En revanche, contrairement à cette dernière, si le demandeur ne répond pas, la procédure en nullité est clôturée, sans décision quant au fond (renonciation totale) ou bien la renonciation est enregistrée et la procédure d’annulation se poursuit pour les produits/services contestés restants (renonciation partielle).

Si le demandeur répond et déclare avoir un intérêt légitime, c’est-à-dire, indique dans quelle mesure une décision sur le fond est requise et pourquoi la renonciation à la marque contestée n’est pas suffisante pour clôturer l’action, la procédure en nullité se poursuit. Si l’intérêt légitime n’est pas reconnu, l’EUIPO rendra une décision constatant ce défaut, la procédure en nullité sera clôturée sans décision quant au fond et la renonciation enregistrée.

Il convient encore de noter que dans les procédures en déchéance, comme dans les procédures de nullité, précitées, si la procédure en cause est clause suite à l’inscription de la renonciation, il revient au titulaire de la marque contestée ayant procédé à la renonciation de supporter les frais. En conséquence, le demandeur en nullité ou en déchéance peut, dans chacun des cas exposés ci-dessus solliciter, en acceptant la renonciation, une décision sur les frais.

Dès lors, la limitation dans de pareils cas nous paraît présenter un intérêt limité, et ce, en particulier au regard des objectifs poursuivis.

Conclusion

Ainsi, contrairement à l’opposition où un retrait peut avoir des avantages certains, puisqu’il est considéré comme primant sur la procédure, les avantages d’une limitation dans les procédures en annulation sont plus limités, dans la mesure où l’action en annulation est considérée comme primant sur la renonciation, et que l’enregistrement de cette dernière reste soumis à la volonté du demandeur en nullité/déchéance, qui, même s’il l’accepte, peut encore solliciter une décision sur les coûts.

En conséquence, si la limitation d’une demande de marque nous semble constituer un moyen de résolution amiable rapide et économique dans le cadre d’une procédure d’opposition, une telle solution ne peut s’appliquer par analogie aux cas d’actions en annulation. Dans ces dernières, il conviendra d’examiner au cas par cas les avantages et inconvénients de solliciter une renonciation plutôt que d’attendre une décision de l’office, dans la mesure où le demandeur en nullité/déchéance reste la partie en position de force.

Pauline Pilaudeau, Conseil en Propriété Industrielle - Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf, France

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