Souffrance animale et brevetabilité

Par Stéphanie Landais-Patarin,

Pour rappel l’Article 53(a) de la CBE stipule que les Brevets européens ne sont pas délivrés pour les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, une telle contradiction ne pouvant être déduite du seul fait que l’exploitation est interdite, dans tous les Etats contractants ou dans plusieurs d’entre eux, par une disposition légale ou réglementaire.

Dans la décision T1553/15 du 28 septembre 2020, il est question de la Demande de Brevet européen 03770855.9 de la société VanWorld Pharmaceutical (Rugao) déposée le 30 octobre 2003 ayant pour objet une préparation pharmaceutique comprenant un extrait d’acides nucléiques et d’acides aminés provenant de la peau de lapin et des excipients pharmaceutiques acceptables, obtenue par un procédé comprenant les étapes de (i) fourniture d’une peau de lapin ne produisant plus de kallicréine ; (ii) extraction à partir de la peau du lapin avec un solvant organique ; (iii) traitement avec un acide et un alcali ; et (iv) adsorption, élution et concentration de l’extrait ; et dans lequel la peau de lapin est obtenue après un processus de vaccination des tissus cutanés d’un lapin contre le virus de la vaccine par injection sous-cutanée de 0,1-0,4ml de solution contenant 106-109 virus/ml sur chaque site, à raison de 100 à 250 sites par lapin de 1,5 à 3 kg, d’alimentation du lapin vacciné, de mise à mort du lapin lorsque les tissus cutanés sont suffisamment enflammés, de pelure du lapin et de congélation de la peau à -18°C pour le stockage, où le virus de la vaccine est la souche ikeda, la souche Dairen ou la souche EM-63.

Exceptions à la brevetabilité

Selon les exemples, il apparait que le procédé de préparation de l’extrait nécessite six à onze lapins pour la préparation de l’équivalent d’un comprimé analgésique.

Pour prendre sa décision, la Chambre de recours a considéré que tous les cas où la souffrance animale est présente doivent être évalués au regard de l’Article 53(a) CBE.

Il semble que les mêmes conclusions aient été établies dans la Décision T19/90 où il a été déclaré que « la décision sur la question de savoir si l’Article 53(a) CBE fait obstacle ou non à la brevetabilité de l’invention semble dépendre principalement d’une évaluation minutieuse de la souffrance des animaux et des risques éventuels pour l’environnement d’une part, et de l’utilité de l’invention pour l’Humanité d’autre part ». Bien que la décision T19/90 concerne spécifiquement les animaux transgéniques, il ressort néanmoins qu’une attention particulière est accordée à l’aspect de la souffrance animale qui, dans ce cas particulier, était liée à l’insertion d’un oncogène activé.

La question éthique des avantages pour l'humanité

Contrairement au cas de la souris transgénique de la Décision T19/90, qui a ouvert de nouvelles voies de recherche dans le domaine de l’oncologie au prix d’une souffrance d’un nombre limité d’animaux, la Chambre de recours a considéré dans le cas présent que, quel que soit l’effet analgésique, qui n’a d’ailleurs pas été démontré dans la Demande, le nombre de lapins devant être sacrifiés dans le cadre d’une exploitation commerciale de l’invention revendiquée était bien trop important par rapport aux avantages éventuels ou l’utilité que l’invention pourrait avoir pour l’Homme. La Chambre de recours a souligné par ailleurs que s’il n’existait pas de procédé alternatif pour produire la composition pharmaceutique de l’invention, d’autres traitements analgésiques alternatifs étaient déjà disponibles sur le marché sans impliquer de souffrance animale.

La Chambre de recours a donc exclu l’invention en vertu de l’Article 53(a) CBE considérant que la souffrance des lapins ne peut pas être compensée par le bénéfice/utilité pour l’Humanité.

Toutefois des questions peuvent se poser quant au refus de protéger par Brevet des inventions en vertu de l’Article 53(a) CBE sur la question de ratio entre souffrance animale et bénéfice/utilité de l’invention, dès lors que les pratiques impliquées sont autorisées par la loi.

En effet, s’il n’y a pas de monopole possible par Brevet, cela revient à rendre possible l’exploitation de l’invention par tous. Ce qui s’oppose in fine au but initial d’interdire l’exploitation de l’invention par Brevet.

Dans le cas présent, c’est finalement la concurrence, en offrant les alternatives mentionnées par la Chambre, qui permettra certainement d’empêcher l’exploitation de cette invention peu écologique dont l’effet technique n’a pas été démontré.

De son côté, l’inventeur peut déposer une enveloppe Soleau et/ou garder son invention en savoir-faire secret pour permettre son exploitation.

Si vous avez des questions, n'hésitez pas à contacter votre conseil habituel ou à envoyer un mail à pat.fr@novagraaf.com.

Stéphanie Landais-Patarin, Conseil en Propriété Industrielle - Brevets, Novagraaf, France

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