Carambolage de marques sonores

Par Novagraaf Team,
Porsche 911 GT3 rear light

L’EUIPO a rendu le 25 août 2023 une décision de refus d’enregistrement de marque sonore déposée par Porsche reproduisant un bruit de moteur. Si l’adoption du « paquet marques » semble devoir faciliter l’enregistrement des signes sonores, l’EUIPO maintient une appréciation stricte de la condition de distinctivité intrinsèque. Les constructeurs automobiles tentés de protéger les bruits de leurs moteurs devront pour l’instant s’efforcer de démontrer l’acquisition du caractère distinctif par l’usage.

Il est désormais acquis que les signes sonores peuvent faire l’objet d’une demande de marque, en ce qu’ils ne sont pas impropres, par nature, à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’une autre entreprise (v. notamment les affaires C‑283/0 et T‑408/15). Il en résulte que des marques sonores peuvent constituer des antériorités opposables à des marques appartenant à d’autres catégories, telles que les marques verbales ou figuratives. Dans ce cas, seule la similarité phonétique est appréciée au stade de la comparaison des signes (v. notamment la décision d’opposition n°OP21-2699, 2021, « HO YES ! »).

Classement des marques sonores selon l’EUIPO

Les signes sonores s’inscrivent, de plus en plus, dans les stratégies marketing des entreprises et les consommateurs sont davantage susceptibles de les percevoir comme des indicateurs d’origine commerciale. Actuellement, environ 300 marques sonores sont inscrites dans les registres de l’INPI et de l’EUIPO. Afin de mieux les analyser, l’EUIPO propose dans une décision en date de 2023 de les classer en trois groupes : les sons produits par des produits ou services (1), les notes ou combinaisons de notes, morceaux ou mélodies (2) et les sons qui équivalent à des éléments verbaux (3).  

Le « paquet marques » facilite l’enregistrement de marques sonores

Depuis l’adoption du « paquet marques », l’enregistrement de marques sonores est facilité par la suppression de l’exigence de représentation graphique (lire notre article à ce sujet). Il est désormais possible de déposer une marque sonore en soumettant un fichier MP3 (d’une taille maximale de 2 mégabytes concernant l’EUIPO). A défaut d’un tel document, le déposant doit accompagner sa demande d’une représentation fiable du son à l’aide d’une partition incluant tous les éléments nécessaires pour interpréter le signe sonore. L’EUIPO précise à cet égard qu’il peut s’agir du tempo (durée du son), des dynamiques (volume sonore de chaque note, différentes nuances), de l’emphase ou du style (effet stylistique ou non dans le jeu des notes), et du chiffrage de la mesure.

La condition de la distinctivité autonome des marques sonores

En dépit de la suppression de l’exigence de représentation graphique, il n’en demeure pas moins que les signes sonores doivent se confronter à la condition de distinctivité autonome, prévue à l’Art. 7 du règlement RMUE, qui représente un écueil pour de nombreuses tentatives de dépôt. Selon cette condition, la marque doit pouvoir remplir la fonction d’identification d’un produit ou d’un service pour lequel l’enregistrement a été demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et doit donc permettre de distinguer ce produit ou ce service de ceux d’autres entreprises. A cet égard, le TUE souligne régulièrement que si le public a pour habitude de percevoir des marques verbales ou figuratives comme des signes identifiant l’origine commerciale des produits ou des services, il n’en va pas nécessairement de même lorsque le signe est seulement constitué d’un élément sonore. La jurisprudence relève ainsi la difficulté inhérente aux signes sonores de se conformer à la condition de distinctivité. Cette difficulté est toutefois amoindrie dans certains secteurs économiques tels que celui de la télédiffusion, où les signes sonores peuvent être corroborés par des éléments visuels.

Précisons, toutefois, que la jurisprudence considère qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’un tel signe diverge de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur, méthode d’appréciation connue des marques tridimensionnelles. Ce critère d’appréciation vise la situation particulière dans laquelle une marque demandée consiste en la forme du produit lui-même ou de son emballage. La CJUE avait ainsi écarté l’application de ce critère d’appréciation à un signe sonore consistant dans le son produit par l'ouverture d'une canette de soda, suivi d'un silence et d'un pétillement (Trib. UE, 7 juill. 2021, aff. T-668/19, Ardagh Metal Beverage Holdings c/EUIPO).  L’enregistrement de ce signe avait été néanmoins refusé en raison de son absence de distinctivité, sur la base du critère de la prégnance (lire notre article au sujet de cette décision).

Les constructeurs automobiles en quête d’identité sonore

Les constructeurs automobiles investissent, depuis plusieurs années, dans la construction de leurs identités sonores, tel qu’il est possible de le constater dans les publicités télédiffusées où l’apparition des logos s’accompagne généralement d’un son caractéristique. Les constructeurs entendent à présent valoriser les bruits de moteur de leurs véhicules, comme en témoignent les multiples tentatives de dépôt de marques constituées exclusivement de tels sons. Dans certains pays, comme c’est le cas par exemple dans certains Etats fédéraux allemands, l’obligation de doter les véhicules électriques de bruits artificiels pour des raisons de sécurité a redoublé l’intérêt des constructeurs dans la protection des caractéristiques sonores de leurs véhicules. Cet intérêt s’est manifesté dans le dépôt de plusieurs marques sonores composées de bruits de moteur. Néanmoins, ces demandes se sont heurtées à l’obstacle de la condition de distinctivité autonome, notamment dans le cas du son produit par un scooter ou encore concernant le bruit d’un moteur de BMW.

Refus de l’enregistrement d’une marque sonore déposée par Porsche

Plus récemment, l’EUIPO a refusé l’enregistrement d’une marque sonore déposée par Porsche reproduisant le bruit de moteur d’une voiture, passant du silence à une rapide accélération, pour les classes 09 (produits digitaux), 12 (véhicules), 28 (véhicules miniatures) et 41 (services digitaux). L’examinateur a rejeté l’enregistrement de la marque pour la totalité des produits et services sur le fondement de l’Art. 7 RMUE. Il estime que la marque ne remplissait pas la condition de distinctivité intrinsèque, c’est-à-dire la fonction de marque. Bien qu’admettant qu’elle puisse attirer l’attention du public ou même susciter une certaine émotion, l’EUIPO considère que le consommateur ne peut reconnaitre et associer le son à une origine commerciale précise, la séquence ne contenant pas d’éléments marquants ou mémorables. L’examinateur allemand apparait davantage ouvert à la protection de tels signes en enregistrant la marque déposée par Porsche sur le territoire allemand, ce que ne s’est pas privé de souligner le déposant devant l’EUIPO. Néanmoins, l’Office s’en tient à la jurisprudence selon laquelle le système des marques UE est autonome et connait un ensemble d’objectifs et de règles dont l’application est indépendante de tout système national, écartant du débat la marque allemande mise en exergue.

Cette décision s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence construite par le TUE et reprise par l’EUIPO dans différentes décisions. Le signe sonore, pour être enregistré en tant que marque, doit posséder une certaine « prégnance », permettant au consommateur de le percevoir et de le considérer en tant que marque et non pas en tant qu’élément de nature fonctionnelle ou technique (v. affaires T-408/15 et T-668/19). Dans le cas de Porsche, le bruit de moteur, même produit artificiellement, ne pouvait que difficilement être associé par le consommateur à autre chose qu’à un élément fonctionnel et technique d’un véhicule motorisé, peu importe que les produits en cause soient des véhicules à moteur thermique ou électriques.

Acquisition de la distinctivité du signe sonore par l’usage

Face à l’écueil de la condition de distinctivité autonome, la solution est prescrite directement par l’EUIPO dans cette même décision : l’acquisition de la distinctivité par l’usage. L’Office s’accorde avec le déposant sur la notoriété du bruit de moteur Porsche faisant l’objet de la demande. Le déposant se référait à des programmes télévisés populaires des années 80 et 90 reproduisant le bruit de son moteur et à l’impact considérable de ces programmes sur le public de l’époque. L’examinateur enjoint Porsche à apporter la preuve de l’acquisition de la distinctivité du signe par son usage, ce qui ne pouvait être démontré par la seule notoriété du son.

Sur ce dernier point, Ferrari semble faire figure de meilleur élève : la bande son du trailer récent du film « Ferrari » est quasi exclusivement composée de bruits de moteur. Grâce à cette direction artistique, le constructeur italien aura sans doute plus de chance pour démontrer l’acquisition de la distinctivité de son signe sonore par l’usage si elle décide de déposer à titre de marque le bruit de son moteur.

Grégoire Brucker, Stagiaire Juriste, Novagraaf, France.

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